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Psycho

Sommeil, rythmes biologiques et troubles bipolaires

On a longtemps cru que les troubles du sommeil et des rythmes biologiques étaient surtout un des symptômes les plus communs dans les phases aiguës du trouble bipolaire. On est en train de découvrir que ces troubles persistent même dans les phases de stabilisation de la maladie et qu’ils participent à la survenue de nouvelles rechutes, et à la résistance aux traitements. Il semble donc important de les soigner indépendamment de la maladie elle-même et de surtout ne pas les négliger en espérant qu’ils vont disparaître d’eux-mêmes.

Les « rythmes biologiques » sont aussi appelés « rythmes circadiens » pour « circa » cycle, et « dien » jour. On parle aussi d’« horloge interne » ou « horloge endogène ». Les rythmes circadiens impliquent un ensemble de rythmes biologiques et comportementaux se déroulant sur une journée, dont le cycle veille/sommeil, mais aussi les rythmes alimentaires ou encore les rythmes des fonctions cognitives (chaque personne sait par exemple s’il est plutôt productif le matin ou l’après-midi). Cette horloge interne est entraînée par un chef d’orchestre qui est situé dans le cerveau au sein des noyaux supra-chiasmatiques. Ce chef d’orchestre est autonome. Ceci signifie qu’il peut fonctionner seul, et déconnecté des signaux du monde extérieur, mais il peut aussi s’adapter aux signaux environnementaux tels que la lumière (qui est captée au niveau de l’œil, et plus précisément au niveau de photorécepteurs de la rétine) ou bien la température extérieure (captée par la peau), ou encore les rythmes alimentaires (captés par l’estomac), ou aussi l’activité physique (captée par les muscles). Enfin, une autre structure importante du cerveau est la glande pinéale, elle aussi synchronisée par les noyaux supra-chiasmatiques. Cette dernière synthétise la mélatonine qui peut être considérée comme l’hormone du sommeil, c’est elle qui le favorise.

Perturbations du sommeil et des rythmes biologiques et troubles bipolaires dans les phases aiguës de la maladie

Les symptômes aigus du trouble bipolaire sont marqués par des perturbations importantes de ces rythmes circadiens et du sommeil. Le syndrome maniaque est marqué, par exemple, par une augmentation importante de l’activité psychomotrice et une réduction importante du temps de sommeil qui peut être partielle ou complète. On va alors parler d’« insomnie partielle » ou d’« insomnie totale ». Cette insomnie est associée à une absence de sensation de fatigue ou de besoin de sommeil. On parlera d’« insomnie sans fatigue ». Au cours du syndrome dépressif, le plus notable est une diminution de l’activité psychomotrice et une diminution de la qualité de sommeil avec une plainte d’insomnie. Cette insomnie peut être à type de réveils nocturnes, de réveils précoces et/ou difficultés à s’endormir. A l’inverse certains patients peuvent se plaindre de somnolence et de trop dormir. On parlera alors d’« hypersomnie ». Dans les deux situations, le sommeil n’est pas réparateur et ces troubles entraînent un retentissement socio-professionnel.

Troubles du sommeil et des rythmes biologiques dans les phases de rémission

Les perturbations du sommeil et des rythmes circadiens ont longtemps été considérées comme un « épiphénomène » des troubles bipolaires, c’est-à-dire seulement présentes au cours des phases aiguës de la maladie (épisodes maniaques ou dépressifs). Par voie de conséquence, ces perturbations ont longtemps été négligées puisque les médecins s’attendaient à leur normalisation avec le retour à la stabilité de l’humeur après un épisode dépressif ou (hypo)maniaque. Or, on sait maintenant qu’un nombre important de ces perturbations persistent au moins a minima lors des phases dites de rémission (périodes où les symptômes de la maladie disparaissent) comme l’on démontré diverses études récentes à ce sujet. Ainsi, 83% des patients souffrant de trouble bipolaire en rémission présenteraient des perturbations du sommeil contre seulement 21% chez des personnes ne souffrant pas de trouble bipolaire.

Maladies du sommeil associées au trouble bipolaire

De plus, les recherches actuelles sont en train de mettre en évidence qu’un nombre important de maladies du sommeil sont également associées au trouble bipolaire et devraient donc être recherchées car en plus des complications propres à ces troubles, elles peuvent être des causes de résistance au traitement pour les personnes souffrant de trouble bipolaire.

Parmi ces maladies du sommeil, le syndrome d’apnée-hypopnée obstructive du sommeil (SAHOS) est le syndrome le plus prévalent chez les patients avec trouble bipolaire et doit être évoqué systématiquement. Le SAHOS se manifeste par des apnées ou sensations d’étouffement au cours du sommeil. Une étude française récente a observé qu’environ 25% des patients avec trouble bipolaire en rémission est à haut risque de SAHOS. La recherche du SAHOS devrait donc être systématique chez les patients avec trouble bipolaire.

Une autre perturbation du sommeil insuffisamment recherchée chez les patients ayant un trouble bipolaire est le Syndrome de Retard de Phase du Sommeil (SRPS) qui peut se définir par un sommeil décalé. Les patients atteints de trouble bipolaire semblent beaucoup plus vulnérables à l’impact de la lumière au coucher ou durant la nuit sur la qualité du sommeil et donc présenteraient un risque plus important de SRPS.

Le syndrome des jambes sans repos est un autre trouble que les personnes souffrant de trouble bipolaire en rémission peuvent rencontrer. C’est une maladie également fréquente en population générale qui atteint les prévalences de 5 à 10%. Ce syndrome des jambes sans repos est de plus favorisé par les antidépresseurs et les antipsychotiques. Enfin, il existe des liens étroits entre le syndrome des jambes sans repos et les troubles bipolaires.

L’impact des perturbations du sommeil et des rythmes biologiques dans les troubles bipolaires

Il existe également un impact démontré de ces anomalies du sommeil et des rythmes circadiens sur le trouble bipolaire. Ils vont en particulier favoriser les rechutes dépressives ou maniaques. Ainsi, deux études indépendantes récentes menées chez des patients en rémission ont démontré que la présence d’anomalies du sommeil au cours de leur visite de suivi prédit la rapidité de survenue d’une rechute maniaque ou dépressive.

Il existe également des impacts sur le fonctionnement « cognitif » des patients. Ceci signifie que ces disfonctionnements concernent sa mémoire, ses capacités d’attention, de concentration, ou encore d’organisation ou de planification face à des tâches complexes. En effet, un lien physiopathologique direct existe entre les perturbations des rythmes circadiens et du sommeil et l’atteinte des fonctions cognitives dans le trouble bipolaire. Ces perturbations impactent le fonctionnement global de la personne tant dans sa vie professionnelle et sociale que dans sa vie privée et familiale.

L’impact porte également sur les facteurs de risque cardio-vasculaire. Ainsi, il est démontré qu’une mauvaise qualité de sommeil et une irrégularité des rythmes retentissent sur le poids et favorisent un syndrome métabolique (le syndrome métabolique regroupe des facteurs de risque cardio-vasculaires comme l’hypertension, l’obésité abdominale, une dyslipidémie avec hypercholestérolémie et/ou hypertriglycéridémie, et le diabète). La prise en charge de ces perturbations du sommeil et des rythmes biologiques dans les troubles bipolaires en rémission, pourrait permettre de réduire le risque cardiovasculaire et donc la morbidité et mortalité par maladie cardio-vasculaire (infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébrale, etc.).

On peut donc dire que les anomalies du sommeil et des rythmes circadiens sont des marqueurs prédictifs de rechute. Il est donc primordial de correctement dépister et caractériser ces perturbations du sommeil et des rythmes circadiens, et de pouvoir orienter de la manière la plus efficace possible les patients afin de leur proposer les traitements les plus appropriés.

Comment faire alors pour mieux stabiliser ses rythmes de vie et mieux dormir ?

Il est donc important lors de la prise en charge d’un trouble bipolaire d’identifier également les perturbations du sommeil et des rythmes circadiens. Cette exploration fait partie intégrante de la prise en charge de la maladie. Elle permet d’améliorer le pronostic et de diminuer les rechutes dépressives ou (hypo)maniaques. Pour aider votre médecin, il peut être utile de venir accompagné d’un proche qui va être en mesure de témoigner de votre sommeil et de vos rythmes de vie, notamment en ce qui concerne des ronflements, des pauses respiratoires, des éveils nocturnes, des mouvements anormaux des jambes (au coucher : syndrome des jambes sans repos, au cours de la nuit : mouvements périodiques des jambes), des cauchemars et de la somnolence diurne auxquels le patient peut ne pas prêter attention.

La majorité des plaintes de sommeil sont liées à de mauvaises habitudes de sommeil et de rythme de vie. Elles peuvent donc être traitées simplement avec une modification de ces habitudes et un renforcement des conditions de sommeil. En cas de troubles importants, il ne faut pas hésiter à en parler à son médecin. Dans certaines situations, l’exploration des plaintes du sommeil peut conduire à orienter le patient vers un psychiatre spécialiste du sommeil et/ou un centre du sommeil.

Le tableau suivant propose un résumé des principaux conseils pour de bonnes habitudes de sommeil :

Conseils pour de bons rythmes de vie et de bonnes habitudes de sommeil :

  • Lors de votre sommeil :
    • de manière générale : créez un lieu et une ambiance agréables et confortables pour dormir
    • Portez des vêtements/pyjamas confortables et agréables
    • Organisez votre lit et votre chambre à coucher de la manière la plus agréable possible : drap et oreillers propres, matelas confortable et plutôt ferme
    • Aérez votre chambre avant de vous coucher
    • La température idéale de la chambre pour bien dormir est de 16 à 18°C
    • Concernant les bains ou douches : évitez le bain chaud juste avant d’aller au lit si cela vous éveille (MAIS il n’y a pas de règle absolue car cela peut favoriser l’endormissement chez d’autres, néanmoins cela fait le plus souvent augmenter la température corporelle et ne favorise pas l’endormissement)
    • Bruit et lumière : veillez à vous isoler le mieux possible du bruit, de la lumière extérieure ou des lumières de veille des appareils électriques par exemple (portables, diodes, réveils, télévision, etc)
    • N’autorisez pas les animaux domestiques dans votre chambre
    • Dinez léger et évitez les aliments protidiques
    • Pas de télévision dans la chambre
    • Pas de tablette, pas de téléphone, pas d’ordinateur dans le lit
    • Mettre le téléphone portable en mode avion ou sans alerte en cours de nuit
  • Lors de votre réveil :
    • Réveillez vous à heure fixe tous les jours, cela favorise de bons cycles veille/sommeil.
    • Sortez du lit lorsque vous êtes réveillé.
    • Ne pas travailler au lit.
    • Exposez-vous à la lumière dès que vous êtes réveillé(e). La lumière naturelle en été ou artificielle en hiver.
    • La température du corps s’est refroidie pendant la nuit : habillez-vous, prenez un petit déjeuner avec une boisson chaude et une douche chaude afin de faire remonter la température corporelle.
    • Favorisez l’activité physique dans la journée (mais en évitant le sport en fin de journée ou en soirée), cela améliore la qualité du sommeil.

Dr Pierre Alexis Geoffroy, psychiatre et médecin du sommeil à l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris (APHP).

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