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Condition Féminine

La justice Restaurative

D’autres exemples soulignent encore l’ampleur et la profondeur de la crise : surpopulation pénale endémique et historique, doublement du temps moyen d’incarcération (dans le mépris du principe fondamental de proportionnalité), multiplication des peines supérieures à cinq années, création des peines planchers, élargissement des périodes de sûreté, détention et rétention de sûreté, peine après la peine, octroi confidentiel de la libération conditionnelle (dans 4 % des cas) alors qu’elle est un facteur évalué de moindre récidive. Une telle stratégie de « prisonisation », de colonisation de la peine par la prison, indique que la politique criminelle à l’oeuvre demeure dans le temps des réponses, soucieuse de « prévenir » la récidive, c’est à dire de prévenir ce qu’elle n’a pu éviter ! Mais il est vrai que dans les discours les plus officiels la « première des préventions c’est la punition ». C’est le prix que le populisme pénal impose de payer. Alors que la prévention authentique (développementale, situationnelle et/ou pénale) sont pleines de promesses, y compris en termes de coût / efficacité. Dans de telles conditions, doit-on encore s’étonner que ni le crime, ni la victime, ni la sanction ne fassent l’objet de définition ?

Dans le même temps, les impératifs du procès équitable ont conduit à offrir à la victime la place qui n’aurait jamais dû cesser d’être la sienne, es qualités d’acteur aux côtés de l’infracteur et du procureur. Il ne peut y avoir de vérité judicaire (co-construite par obligation) sans celle de la victime. Une telle posture ne va pas de soi et nombreuses sont les critiques relatives à la poussée « victimaire » actuelle, source « prétendue » de l’aggravation de la sévérité de la réponse socio-pénale à l’égard des condamnés. Fondés sur la rhétorique typiquement française de la dénonciation, a priori, les discours intellectualisés sur la « victime fantasmée » ne résistent pas à l’analyse concrète du quotidien judiciaire de la « victime ordinaire ». L’égalité des armes est une nécessité démocratique, un impératif conforme aux droits humains et aux principes fondamentaux de droit criminel.

C’est dans un tel contexte que les mesures de Justice Restaurative sont susceptibles d’offrir à l’Œoeuvre de justice son plein épanouissement. (Re)activations de pratiques traditionnelles, elles présentent en effet le suprême avantage d’avoir le souci de la sanction des actes, mais aussi de la réparation des personnes en vue de rétablir la paix sociale fortement compromise par le crime. Reposant sur le précepte philosophique de « reintegrative shaming », la Justice Restaurative entend, en ce sens, souligner le caractère inacceptable de l’acte commis et affirmer, de manière consubstantielle, l’amour que les proches et la communauté continuent de porter à celle ou celui qui endosse, avec sincérité, la responsabilité de l’acte criminel. Bien sûr, il ne peut s’agir que d’atteintes à des valeurs sociales essentielles (crimes, délits graves) car le traitement des incivilités, des manquements à la discipline sociale, des déviances comme des inadaptations (aujourd’hui abusivement pénalisées) ne sont pas du domaine de la justice pénale. Définie principalement comme un processus volontaire, la Justice Restaurative se matérialise par des mesures originales, mises en œuvre au sein du Système de Justice pénal. Les évaluations scientifiques disponibles dévoilent la pertinence d’une telle complémentarité, au bénéfice de tous les protagonistes du crime, dans son endroit comme dans son envers.

1. Définition de la justice Restaurative De multiples définitions de la Justice Restaurative sont disponibles. Elles illustrent la créativité à laquelle conduit effectivement cette manière de rendre justice autrement. Plus concrètement, plusieurs critères essentiels permettent de la caractériser et de valider comme telles les mesures qu’elle promeut. Inscrite dans un processus dynamique, la Justice Restaurative suppose la participation volontaire de tou(te)s celles et ceux qui s’estiment concerné(e)s par le conflit de nature criminelle, afin de négocier, ensemble, par une participation active, en la présence et sous le contrôle d’un « tiers justice » et avec l’accompagnement éventuel d’un « tiers psychologique et/ou social », les solutions les meilleures pour chacun, de nature à conduire, par la responsabilisation des acteurs, à la réparation de tous afin de restaurer, plus globalement, l’Harmonie Sociale. L’opérationnalisation des mesures de Justice Restaurative provoque de réelles ruptures épistémiques au bénéfice incontestable du Système de Justice pénale, en totale complémentarité. Dans le modèle de justice pénale actuel, le crime est considéré comme un acte portant atteinte à l’Etat. La justice met exclusivement l’accent sur la responsabilité abstraite de l’infracteur, sur le passé de la faute, dans le but de lui appliquer la peine prévue par la loi. La justice est vue au travers d’une procédure d’opposition entre adversaires, infracteurs et victimes demeurant passifs, voire ignorés. Le droit positif réduit ainsi « la procédure à une question technique ». La peine prévue par la loi est juste en elle-même, le respect des règles l’emportant sur les résultats.

Selon la philosophie restaurative, le crime est davantage une atteinte aux personnes et aux relations interpersonnelles. La justice a, par conséquent, pour but d’identifier les besoins et les obligations de chacun des protagonistes. La justice se conçoit comme un processus impliquant, de manière active, toutes les personnes intéressées. Par le dialogue, on encourage réciprocité et partage des émotions. La responsabilisation concrète de tous conduit à la recherche de solutions consensuelles, tournées vers l’avenir et destinées à réparer tous les préjudices. Les résultats, tout autant que le processus, apparaissent ici essentiels, comme l’indiquent les différentes mesures disponibles.

2. Mise en œuvre des mesures de Justice Restaurative Ces principales mesures sont : la médiation victime – infracteur, la conférence du groupe familial, le cercle de détermination de la peine (ou cercle de sentence). D’autres mesures s’en rapprochent, comme les Commissions vérité-réconciliation (CVR) ou les Cercles de soutien et de responsabilité (CSR). La plupart de ces mesures sont mises en œuvre « en face à face », à tous les stades de la procédure. La gravité des actes importe peu, dès lors que les conditions énoncées plus haut dans la définition sont remplies. Les Rencontres détenus-victimes y occupent une place particulière en ce qu’elles offrent, après condamnation, un dialogue entre un « groupe » de condamnés et de victimes, anonymes. Elles se déroulent selon un protocole assez proche, à deux conditions préalables près : que l’ensemble du processus soit maîtrisé par un authentique professionnel, dans le cadre d’une préparation très aboutie. Quatre phases sont généralement identifiées : l’éligibilité (du cas, des personnes), la rencontre, la négociation, le suivi de l’accord, avec des variantes parfois importantes selon que la mesure est retenue dans le pré- ou le post-sententiel notamment.

Elles conduisent à des accords divers, portant sur les répercussions du crime, au-delà des conséquences directes du crime (sanction de l’acte, indemnisation des dommages sous leurs multiples préjudices) de la seule compétence du juge. Il peut s’agir, tout d’abord, au travers des échanges que permettent les mesures mises en œuvre, d’aborder les raisons pour lesquelles le crime a été posé, contre telle personne, dans telles circonstances, notamment. Les questions du « pourquoi » et du « comment » sont essentielles pour les victimes et leurs proches, mais d’une certaine manière pour les proches de l’infracteur et l’infracteur aussi (en termes de prise en compte des réalités concrètes des victimisations consécutives à son acte). Il peut s’agir encore de négocier les solutions les meilleures pour que les aspects de la vie quotidienne, très concrètement, soient aussi réparés, tant au plan familial que social, d’autant plus que les actes graves se déroulent entre personnes qui se connaissent dans la très grande majorité des cas (famille, lieu de travail). La sincérité de l’infracteur rend accessibles aux victimes les excuses sous forme diverses, favorisant par là la responsabilisation de l’infracteur. Les engagements pris par les communautés présentes lors de ces mesures augmentent inévitablement leur chance de réussite.

3. Evaluation des pratiques restauratives
La satisfaction des intéressés ayant bénéficié de l’une des mesures restauratives précitées est réelle. Evalué scientifiquement, les sentiments des protagonistes convergent, comme notamment ceux d’avoir obtenu justice, de ressentir un apaisement physique, psychique voire même psychosomatique. La reconnaissance offerte par le processus restauratif est soulignée par tous comme la condition d’un possible retour (ou sa consolidation) parmi les autres êtres humains, car avoir la chance de pouvoir donner son point de vue est réparateur, quelle que soit la gravité du crime. Magistrats et acteurs socio-judiciaires considèrent que la complémentarité entre les mesures de Justice restauratrice et celle de la Justice est parfaitement viable, vecteur d’humanisation, facteur de gain de temps pour tous. Ainsi socialisé, le désir de « vengeance vindicative et destructrice » s’estompe pour laisser place au partage, à la réciprocité, à l’intercompréhension, à la vengeance vindicatoire qui rend à nouveau actif, qui permet de reprendre le pouvoir sur sa vie. La peur du crime, comme expérience vécue, s’estompe à l’écoute des infracteurs, de la sincérité de leurs regrets et de leurs engagements pour l’avenir. Si des coûts judiciaires, sanitaires et sociaux sont ainsi épargnés, il convient encore de remarquer, et ce n’est pas le moins important, que le taux de récidive est bien moins élevé, grâce à la responsabilisation subséquente du condamné. Prenant conscience qu’il appartient à la communauté, prête à l’accueillir de nouveau après s’être acquitté de ses obligations, il mesure clairement que c’est l’acte qu’il a commis qui est stigmatisé comme inacceptable, alors que lui-même demeure une personne, ayant toute sa place parmi les autres êtres humains.

Pour conclure sommairement, les promesses de la Justice Restaurative sont indiscutables. Rien de vraiment étonnant en cela. Si la Justice pénale traditionnelle répond aux conséquences de l’acte (punition de l’auteur en vue de sa resocialisation, réparation indemnitaire de la victime), au bénéfice des protagonistes directs, plus rarement au profit de leurs proches dans l’endroit comme dans l’envers du crime, elle laisse en suspens les répercussions, multiples, profondes et douloureuses engendrées par le crime. Dans le cadre des mesures restauratives, tout ce qui a affecté la vie quotidienne des personnes touchées par le crime (victime, infracteur, proches, communautés d’appartenance, voisinage) est envisagé et des réponses négociées entre tous sont proposées, au plus près des besoins des uns, au plus près des obligations des autres, au plus près des possibilités de tous. Sous le contrôle et avec la validation du « tiers justice » et du « tiers psycho-social ».
Il importe donc d’inscrire en urgence la Justice Restaurative dans le paysage juridico-pénal de notre pays. Car mises à part la médiation pénale (à l’égard des adultes et au seul stade des poursuites) et la réparation pénale à l’égard des mineurs (plus heureusement susceptible d’être prononcée à tous les stades de la procédure), l’arsenal restauratif français est bien pauvre. D’autant plus que ces mesures sont davantage destinées à « mordre » sur les classements sans suite que sur les poursuites mêmes (y compris en ce qui concerne les mineurs, puisque 90 % des mesures sont prononcées par le parquet), s’apparentant par là à des ajouts punitifs de nature à élargir, abusivement, le filet pénal tendu par les organes de contrôle social contemporains. L’optimisme de l’action doit néanmoins ne pas céder devant le pessimisme de l’intelligence . En effet la Session de Rencontre détenus-victimes qui a été mise en place au sein de la Maison centrale de Poissy en 2010 augure de perspectives remarquables si le législateur veut bien lui donner force de loi. Dans le même esprit, quelques sanctions « à visée » restaurative, en associant pleinement la victime à leur déroulement, pourraient être de nature à épanouir l’œuvre de Justice.

QUELQUES REFERENCES

  • Aertsen I. et al., Renouer les liens sociaux. Médiation et justice réparatrice en Europe, Pub. Conseil de l’Europe, 2004, 141 p.
  • Gailly P., La justice restauratrice. Textes réunis et traduits par…, Ed. Larcier, 2011, Coll. Crimen, 471 p.
  • Hategekimana S., La Justice pénale restaurative. Essai de son application dans les grands crimes internationaux au Rwanda, Editions Universitaires Européennes, 2011, 676 p.
  • Johnstone G., Van Ness D. (Eds.), Handbook of Restorative justice, Willan Publishing, 2007, 650 p.
  • Sarlet S., Justice restaurative et auteurs d’infractions à caractère sexuel. Mythes d’un nouveau modèle de justice ou réelles perspectives ?, Editions Universitaires Européennes, 2011, 84 p.
  • Senon J.L., Lopez G., Cario R. (Dir.), Psychocriminologie. Prévention, prise en charge, expertise, Ed. Dunod, Paris, 2è éd. 2012, 528 p.
  • Ventura Miller H. (Ed.), Restorative Justice : from theory to practice, Sociology of Crime, Law and Deviance, 2008-11, JAI Press Inc., 208 p.
  • Zehr H., La justice restaurative. Pour sortir des impasses de la logique punitive, Ed. Labor et Fides, Genève, 2012, 98 p.

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