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A la question récurrente des patientes : « Puis-je être enceinte si je souffre d’un trouble bipolaire ? ». Il n’y a pas d’hésitation à avoir : la réponse est indiscutablement OUI.
Mais sur le fond, la question qui taraude toute jeune femme qui souffre d’un trouble bipolaire et qui aimerait envisager une grossesse est : « Ai-je le droit d’être enceinte ? » car « Est-ce que je ne prends pas le risque d’avoir aussi un enfant atteint si le trouble bipolaire est une maladie génétique et donc transmissible ? ».
Est-ce que le trouble bipolaire est une « maladie génétique » ?
Il y a en effet une participation des facteurs génétiques dans le trouble bipolaire. Cependant, on va parler de « maladie à hérédité complexe » (comme le diabète, l’obésité, ou encore la maladie d’Alzheimer). Ceci signifie qu’il n’existe pas un gène de la maladie qui expliquerait tout et qui serait transmis à ses enfants, mais plusieurs gènes de vulnérabilité, qui peuvent ou non s’exprimer, et l’environnement et le contexte joueront un rôle important dans l’expression de ces gènes.
Dans le trouble bipolaire, l’héritabilité de la maladie, autrement dit la part d’expression de la maladie qui est liée aux gènes, est d’environ 80% ce qui est important. A titre de comparaison, le diabète de type 2 a une héritabilité d’environ 40%. Mais il faut savoir aussi que 80% d’héritabilité, cela signifie également que 20% de l’expression de la maladie est liée aux facteurs environnementaux. Ce n’est donc pas une maladie complètement génétique. Et il n’y a rien d’inéluctable !
Le concept d’« environnement » est un concept complexe en psychiatrie. Il va associer deux types de facteurs : les facteurs protecteurs et les facteurs de risque. Par « facteurs protecteurs », on va entendre tout ce qui va permettre à la personne de maintenir un bon équilibre de vie. Cela peut être un bon entourage, l’affection de ses proches, une bonne éducation, un bon rythme de vie, etc. Dans les facteurs de risque, on va trouver les traumatismes infantiles, les stress précoces, mais aussi la prise de substances telles que la cocaïne, le cannabis et autres. Tous ces facteurs vont donc protéger ou faire exprimer une vulnérabilité génétique chez un individu porteur de l’expression d’un trouble bipolaire. Car il existe un lien dynamique entre ce que nous sommes sur le plan génétique et notre environnement. Le code génétique est comme une recette de cuisine qui peut être suivie partiellement, complètement ou alors revisitée ! Et c’est l’environnement qui jouera alors en quelque sorte le rôle du chef cuisinier en précipitant l’expression ou non de nos gènes protecteurs ou celle de nos gènes de vulnérabilité.
Les études épidémiologiques (études familiales, études de jumeaux et les études d’adoption) permettent de mettre en évidence aussi une « agrégation familiale » du trouble bipolaire. Pour démontrer qu’il existe une agrégation familiale, on peut montrer par exemple que le trouble est plus fréquent chez les apparentés du premier degré des malades (parents, fratrie, enfants) que dans la population générale ou que chez les apparentés de premier degré de témoins sains. Les études descriptives familiales ont démontré que les apparentés de 1er degré d’une personne atteinte d’un trouble bipolaire ont plus de risque d’être eux-mêmes atteints que la population générale ou que les apparentés de 1er degré de personnes sans trouble psychiatrique. Quant aux apparentés du 2ème et du 3ème degré, ils ont un risque moindre de développer un trouble bipolaire que ceux du premier degré, mais celui-ci est quand même souvent supérieur à celui de la population générale. Le risque d’être atteint d’un trouble bipolaire chez une personne dont un apparenté du premier degré est atteint (parents, frères ou sœurs) est en moyenne 4 fois plus élevé que celui de la population générale.
Mais si le risque est supérieur, il est loin d’être systématique et la maladie n’est absolument pas transmise systématiquement à ses enfants ! On parle de « sur-risque » par rapport à la population générale avec un risque qui augmente d’un facteur 4 (ce qui veut dire, par exemple, que pour une prévalence de 2% en France, le risque augmente à 8%). Cela signifie aussi que la probabilité d’avoir un enfant non-atteint est bien supérieure à celle d’avoir un enfant atteint !
Puis-je être enceinte ?
Les personnes avec un trouble bipolaire peuvent évidemment avoir des enfants, et ceci est davantage une affaire de couple et un projet de vie, qu’une affaire de médecins ! Tout être humain peut faire le choix de donner la vie et d’éduquer des enfants. C’est un projet de vie et de couple, et pas une affaire médicale. Il faut donc faire attention aux possibles dérives eugénistes envers les personnes qui souffrent de troubles psychiatriques. Car par exemple, si l’on s’intéresse au cancer du sein, certaines mutations génétiques, si elles sont transmises à ses filles, donnent près de 100% de risque de développer un cancer du sein. Pour autant, il ne viendrait jamais à l’esprit de quiconque d’interdire aux femmes porteuses de ces mutations d’avoir des enfants ! Et cela est le cas pour la très grande majorité des maladies qui sont autant de vulnérabilités possiblement transmises à ses enfants. Il est impossible d’être exempt d’une quelconque vulnérabilité que nous transmettons possiblement dans notre patrimoine génétique.
Pour les femmes souffrant d’un trouble bipolaire, une grossesse peut cependant être une période à risque de décompensation de sa maladie, de même que des adaptations thérapeutiques peuvent être nécessaires, et des consultations spécialisées existent pour accompagner sereinement les mères dans leur grossesse
Alors comment envisager la grossesse lorsqu’on est atteinte d’un trouble bipolaire ?
L’essentiel pour vivre une grossesse sereine est une préparation en amont de cette grossesse avec son psychiatre référent, et l’organisation d’un suivi un peu plus rapproché au cours de celle-ci. Car, contrairement à certaines idées reçues, la grossesse ne protège pas des rechutes dépressives ou maniaques ! La grossesse peut en effet être un facteur de déstabilisation du trouble bipolaire, même s’il s’agit d’un projet de couple qui est peut-être en soi un facteur d’épanouissement et de stabilisation psychologique. Les chiffres sont assez clairs dans ce sens : il y a environ 85% de rechute dépressive (les signes dépressifs) ou maniaque (la manie ou l’hypomanie)en cas d’arrêt du traitement stabilisateur de l’humeur, contre seulement 40% si le traitement est maintenu.
Néanmoins certains traitements tels que le Valproate de sodium (Dépakote®) ou le Valpromide (Dépamide®), et ses dérivés, sont à éviter au cours de la grossesse car ils peuvent entraîner un risque de malformation fœtale en particulier neurologique. Ceci impose donc d’en parler à son psychiatre pour savoir s’il y a des adaptations thérapeutiques nécessaires ou non dans l’objectif d’être enceinte. Chaque situation est évaluée au cas par cas, avec la décision prise en partenariat avec la patiente, de continuer ou pas un traitement, lequel, et sous quelles modalités. Dans la situation où il n’y a pas de projet de grossesse, il faut pouvoir bénéficier d’une contraception efficace en cas de traitement par valproate de sodium ou de l’un de ses dérivés. Ainsi, avant de commencer un traitement stabilisateur de l’humeur, il est également conseillé de réaliser un test de grossesse.
Dans la situation où une rechute dépressive ou maniaque apparaît au cours de la grossesse. Il existe des équipes spécialisées capables de prendre en charge ces épisodes en lien avec des équipes psychiatriques et une maternité spécialisée dans les grossesses à risque. Des traitements seront alors donnés pour traiter cet épisode et en limiter les complications, tels que les antipsychotiques de seconde génération ou l’électroconvulsivothérapie pour les épisodes dépressifs ou maniaques sévères, voire les antidépresseurs sélectifs de recapture de la sérotonine dans certaines situations d’épisodes dépressifs.
Pour les épisodes légers à modérés, des stratégies psychothérapeutiques seront proposées avant le recours aux médicaments.
Après la grossesse, l’allaitement maternel n’est pas possible du fait du passage dans le lait des médicaments stabilisateurs de l’humeur.
Pour conclure
En conclusion, le trouble bipolaire n’est absolument pas transmis systématiquement à ses enfants. Il existe un sur-risque par rapport à la population générale et si l’on parle bien souvent des facteurs de risque environnementaux et génétiques, on parle insuffisamment des facteurs protecteurs qui sont tout aussi importants. La grossesse est absolument possible chez les femmes souffrant d’un trouble bipolaire. C’est d’abord un projet de couple.
Celle-ci nécessite une préparation et un suivi rapproché qui sera assuré par une équipe psychiatrique et une maternité spécialisée dans les grossesses à risque.
Dr Pierre Alexis Geoffroy, psychiatre et médecin du sommeil à l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris (APHP).