Table des matières
Ce n’est pas un hasard si la présence massive des femmes sur le marché de l’emploi a été de pair avec l’acquisition de droits fondamentaux comme le droit à disposer librement de son corps, le droit à l’avortement et à la contraception. Ces dernières décennies ont également vu se développer les luttes contre les violences faites aux femmes : viols, femmes battues, harcèlement sexuel. La cellule patriarcale étant le noyau dur de la domination masculine, c’est en s’arrachant à l’emprise de l’univers familial et conjugal que les femmes peuvent enrayer le mécanisme de la reproduction des inégalités. Par ailleurs, dans un monde dominé par les rapports marchands, une activité exercée dans la sphère publique est aujourd’hui le seul moyen de gagner son autonomie financière. Enfin, la signification du travail en elle-même comme facteur de citoyenneté fait de la présence des femmes dans le monde du travail une clé essentielle de leur émancipation. Tant que le travail gardera la place centrale qui est la sienne dans nos sociétés, tant que de nouvelles valeurs, de nouveaux liens sociaux, de nouvelles formes de citoyenneté n’auront pas pris sa place, tout retour en arrière en matière de droit des femmes au travail s’accompagnera inévitablement d’un retour en arrière visant à reléguer les femmes dans les rôles traditionnels, à les exclure de la vie publique et à en faire des « citoyens de deuxième zone ». Femmes et travail, cette question représente donc un enjeu majeur pour le féminisme.
I – Femmes, travail et citoyenneté. Perspective historique
1.1 – Les femmes ont toujours travaillé
Contrairement aux idées reçues, tenaces malgré les nombreux travaux historiques des dernières années, les femmes ont toujours travaillé, sauf dans les milieux très riches et pendant une période très brève (entre les deux guerres de ce siècle essentiellement). La confusion provient de phénomènes récents : le développement, depuis la fin du 18e siècle, du salariat, et la valorisation conjointe de l’activité laborieuse. Une grande partie du travail est alors entré dans la sphère publique, sphère que l’on a tenté de fermer aux femmes, pour des raisons que nous allons tenter d’expliquer.
Le travail est loin d’avoir toujours été une valeur centrale de la Société, et surtout il est loin d’avoir toujours été valorisé comme il l’est aujourd’hui. Le travail de la sphère privée, le travail nécessaire à la subsistance a au contraire toujours été un principe d’exclusion. Ceux et celles qui l’accomplissaient étaient tenus pour inférieurs. On les considérait asservis à la nécessité, donc incapables de l’élévation d’esprit, du désintéressement qui rendait apte à s’occuper des affaires de la cité. Par exemple dans l’Antiquité le travail était une occupation servile qui excluait de la citoyenneté ceux et celles qui l’accomplissaient. Le travail était indigne des citoyens non parce qu’il était réservé aux femmes et aux esclaves, tout au contraire, il leur était réservé parce que travailler c’était s’asservir à la nécessité.
1.2 – Le travail comme garant de la citoyenneté ou l’enjeu de la présence des femmes dans le monde du travail.
Le statut du travail ne subit une transformation majeure qu’avec l’avènement de la période contemporaine, de l’industrialisation, du salariat. Alors le travail s’accomplit dans la sphère publique (sphère où s’obtiennent, depuis la Révolution, existence et identité sociale) et non plus dans la sphère privée. L’activité laborieuse est insérée dans un réseau de relations et d’échanges et le travailleur se voit conféré des droits sur la société en échange du devoir accompli envers elle. Du reste, la théorisation de ce phénomène, la valorisation de l’activité laborieuse est la conséquence d’un rapport de force politique et social. Pour aller vite on peut dire que, suite aux revendications égalitaires de la Révolution, le peuple ne peut plus être écarté de la sphère politique et aspire à l’égalité. Se pose donc le problème de maîtriser la souveraineté populaire, d’intégrer le peuple sans qu’il sorte de sa condition. La valorisation du travail est la réponse majeure à ce problème ; grâce à elle on donne identité et citoyenneté politique à l’homme du peuple. Faire accéder certaines catégories au monde du travail pouvait donc être un moyen de les intégrer à la Société ; en refouler d’autres hors de ce monde pouvait justifier le refus de les accueillir au sein de la communauté civique.
Et c’est précisément ce qui se passe avec les femmes. Le travail domestique reste à l’écart du processus de magnification du travail. Le travail domestique, destiné à des personnes particulières, en vertu d’un lien personnel privé est présenté comme n’ayant pas d’utilité sociale directe et cette activité ne conférant donc pas à celui ou à celle qui l’exerce une réalité sociale publique. Ses obligations envers la société sont donc considérées comme non remplies… ce qui permet à la société de l’exclure, de lui dénier ses droits de citoyen-ne. C’est ce qui a été fait à propos des femmes en cherchant à les ramener à ce travail invisible qui est celui du foyer, et quand cela n’est pas possible, à les cantonner dans la sphère domestique. Le travail domestique, jusqu’à la Révolution presque exclusivement masculin, se féminise très vite au cours des décennies qui vont suivre. Les ouvrières sont de plus régulièrement assimilées à des prostituées, dont le travail appartient à la sphère privée de par la relation de particulier à particulier qu’il entretient. La femme est donc peu à peu exclue de l’activité sociale, tandis que les hommes sont déchargés des soins du ménage qui sont considérés comme sans effet sur la chose publique.
On peut s’interroger sur les raisons d’un tel processus d’exclusion au delà du mépris traditionnel accordé aux femmes. On peut penser que le rejet des femmes hors de la sphère publique était la condition de la liberté politique du travailleur. La citoyenneté a toujours été pensée par rapport à la dépendance. L’homme du peuple, avant de devenir citoyen libre devait obtenir ses lettres de noblesse en matière de représentativité ; on a donc fait de cet homme le représentant de sa famille, et en premier lieu de sa femme. Celle-ci, pour être légitimement représentée, doit être dépendante, assistée. Or l’homme qui travaille assure la subsistance de la femme qui ne travaille pas. De protégé, il devient ainsi protecteur, et sa femme est mise dans l’incapacité d’accéder à l’égalité pour ne pas l’empêcher de devenir acteur politique. Nous sommes les héritiers directs de ces modes de pensée forgés au cours du 19e siècle. Ce court rappel historique nous permet de mesurer l’enjeu représenté par la présence des femmes dans le monde du travail. Ce n’est pas un hasard si la présence massive des femmes sur le marché de l’emploi a été de pair avec l’acquisition de droits fondamentaux comme le droit à disposer librement de son corps, le droit à l’avortement et à la contraception. Ces dernières décennies ont également vu se développer les luttes contre les violences faites aux femmes : viols, femmes battues, harcèlement sexuel. La cellule patriarcale étant le noyau dur de la domination masculine, c’est en s’arrachant à l’emprise de l’univers familial et conjugal que les femmes peuvent enrayer le mécanisme de la reproduction des inégalités. Par ailleurs, dans un monde dominé par les rapports marchands, une activité exercée dans la sphère publique est aujourd’hui le seul moyen de gagner son autonomie financière. Enfin, la signification du travail en elle-même comme facteur de citoyenneté fait de la présence des femmes dans le monde du travail une clé essentielle de leur émancipation. Tant que le travail gardera la place centrale qui est la sienne dans nos sociétés, tant que de nouvelles valeurs, de nouveaux liens sociaux, de nouvelles formes de citoyenneté n’auront pas pris sa place, tout retour en arrière en matière de droit des femmes au travail s’accompagnera inévitablement d’un retour en arrière visant à reléguer les femmes dans les rôles traditionnels, à les exclure de la vie publique et à en faire des « citoyens » de deuxième zone. Femmes et travail, cette question représente donc un enjeu majeur pour le féminisme.
II – Reconnaissance du travail domestique et salaire parental
Cependant on peut se demander si l’inscription des femmes sur le marché de l’emploi est la seule réponse possible, le seul vecteur de leur émancipation. Un combat à mener ne serait-il pas aussi la reconnaissance et la valorisation du travail effectué dans la sphère privée ? La question a d’ailleurs une résonance nouvelle car beaucoup insistent aujourd’hui sur la nécessité de réduire le temps passé dans le monde du travail et de revaloriser les activités qui lui sont extérieures.
2.1 – Importance du travail domestique des femmes
Le travail fournit dans le foyer est un travail considérable, dévalorisé, invisible… et effectué dans son immense majorité par les femmes. Il consiste en bonne partie en l’accomplissement du travail pour la consommation familiale (faire la cuisine, laver le linge…). Mais chez les travailleurs indépendants, les professions libérales, les artisans, les commerçants, les agriculteurs, qui représentent 15% de la population, les femmes travaillent souvent gratuitement, non déclarées, pour la production de valeurs marchandes. Il y a donc d’une certaine façon appropriation par la société en général, et par le mari en particulier, de la force de travail de la femme. C’est d’autant plus scandaleux que la femme est encouragée à effectuer les travaux domestiques car il lui faut compenser le fait qu’elle ramène au foyer une paie inférieure à celle de son mari. Son travail est donc doublement nié. Cette exploitation des femmes est entretenue en un cercle vicieux : les femmes étant moins payées sur le marché du travail, cela les pousse à entrer dans des relations de mariage ou concubinage… où leur travail est exploité.
2.2 – Reconnaître le travail domestique par un salaire ? Allocation Parentale d’Education et autres mesures
Cette question de l’exploitation du travail domestique des femmes a suscité peu de réflexions, bien que l’on voit que la situation des femmes sur le marché du travail est partiellement liée à leur situation dans la famille. Une des solutions proposées par les féministes a été celle (très peu populaire, en particulier en France) d’un salaire pour le travail domestique, et ce d’une part pour reconnaître et valoriser ce travail essentiellement fourni par les femmes, et d’autre part afin de donner à celles-ci l’indépendance, la liberté de faire autre chose à côté. Soulignons par ailleurs qu’il semble que l’on puisse aujourd’hui considérer que ce salaire « ménager » existe déjà (mais qu’il est versé aux hommes dont la femme ne travaille pas) par le biais de réductions d’impôts et différentes autres mesures de redistribution.
Il existe par ailleurs les Allocations Parentales d’Education (APE), et les allocations de parent isolé, qui, elles, facilitent réellement l’indépendance des femmes qui ne veulent pas se marier puisque c’est par définition pour un parent isolé. On peut penser que ces allocations diminuent par ailleurs la distance entre les femmes qui travaillent à l’extérieur et les femmes qui ne travaillent pas, ou entre les différents moments de la vie d’une même femme. Il peut aussi y avoir la revendication d’avoir le droit et les moyens d’élever ses enfants soi-même, et de ne pas le faire dans la misère, ou dans l’obligation d’effectuer une double journée, etc. L’APE semble une mesure intéressante à de nombreuses femmes : les problèmes de garde d’enfant sont résolus et comme se sont encore les femmes qui assument généralement l’essentiel des tâches domestiques, elles peuvent avoir l’impression que, pendant trois ans, elles pourront souffler un peu et ne plus avoir à courir perpétuellement entre travail, courses, ménage, crèche… Et financièrement, s’il n’y a plus de frais de garde à payer, l’allocation d’environ 3000F mensuels peut paraître comme un moyen d’équilibrer le budget familial. Soumises comme elles le sont au chômage, au temps partiel, aux bas salaires, certaines femmes peuvent penser que, quitte à vivre dans la précarité, le temps libre est préférable au travail malgré l’espace de sociabilité qu’il représente généralement.
2.3 – Des mesures dangereuses, destinées à renvoyer les femmes à la sphère domestique
Nous avons déjà souligné pourquoi il n’est pas anodin pour les femmes de travailler au foyer ou en dehors. Dans notre société liberté et citoyenneté s’obtiennent dans la sphère publique. Malgré l’aide ponctuelle que peuvent représenter ce type de mesures pour les femmes, celles-ci représentent donc avant tout un danger.
Depuis plusieurs années ressortent régulièrement les discours, mélangeant subtilement arguments économiques et moraux (les enfants ont besoin de leur mère, celle-ci est la garante de la stabilité familiale dans une société en crise, etc…), selon lesquels il n’est pas tout à fait naturel et normal que les femmes soient présentes comme les hommes sur le marché du travail ; c’est dans ce contexte que s’inscrivent APE et autres mesures visant à renvoyer les femmes à la sphère domestique. Dans les entreprises qui se restructurent les femmes se voient proposer un congé parental et l’on pare le temps partiel de deux vertus : celle de permettre aux femmes de concilier vie familiale et professionnelle, et celle de créer des emplois. Quant au gouvernement, il a donc élargi (1994) l’attribution de l’allocation parentale. Celle-ci est désormais attribuée dès le 2ème enfant à celui des parents qui arrête de travailler (3 ans maximum). La loi fait comme si cette mesure était objectivement destinée aux pères comme aux mères. Pourtant cette allocation, dans 99% des cas, est prise par les femmes, fragilisant celles-ci sur le marché de l’emploi, et les confinant dans le rôle domestique… Depuis la loi de juillet 1994, près d’une femme sur deux quitte son emploi après une 2ème naissance. Même si le bilan de l’APE doit être nuancé puisque les femmes peuvent en bénéficier durant 3 ans sans rompre leur contrat de travail et que les femmes au chômage peuvent également la percevoir à condition de justifier de 2 ans d’activité durant les 5 années précédant la naissance de l’enfant, son succès pose une question fondamentale : l’APE est-elle la première mesure incitative a avoir un effet direct sur le taux d’activité féminin ? Marque-t-elle une rupture dans la progression linéaire de l’activité féminine depuis les années 60 ?
Du reste, au delà des résultats concrets de ces politiques, ces incitations domestiques ne sont pas sans dégâts idéologiques et symboliques. Elles entretiennent l’idée du statut auxiliaire du salariat féminin et de la vocation domestique des femmes (car comment se battre et obtenir un réel partage des tâches ménagères et éducatives si la femme bénéficie seule de l’APE ?). Rappelons en outre qu’alors que l’APE incite les femmes à sortir du monde du travail, les exonérations substantielles d’impôts pour la création d’emplois familiaux (garde d’enfants, aide aux personnes âgées, travaux ménagers…) permettent de pousser les femmes vers les marges de ce monde du travail en leur réservant des emplois de proximité typiquement « féminin » et sous-payés. Ces mesures confortent donc la famille patriarcale et renforcent les rôles sexuels traditionnels, y compris dans le modèle transmis aux enfants. D’autre part, comment être autonome financièrement avec moins de 3000F par mois ? Et comment garantir son indépendance sur le plus long terme ? Car du côté des employeurs, même si théoriquement le retour à l’emploi est obligatoire, ne rêvons pas ! En 3 ans les entreprises changent, se restructurent, suppriment des postes, déménagent, ferment. Comment une femme absente de l’entreprise pendant 3 ans pourrait-elle faire valoir pleinement ses droits ? Beaucoup d’employeurs prétendent aujourd’hui hésiter à embaucher des femmes jeunes à cause des risques d’absentéisme liés à la maternité. Le congé parental fournira un argument supplémentaire pour embaucher des hommes plutôt que des femmes, ne pas investir dans leur formation…
2.4 – Une seule solution, la révolution ?
Pour nous, l’Allocation parentale n’est donc pas une véritable solution, à aucun point de vue. Elle ne permettra pas de revaloriser le travail domestique, de lutter contre les discriminations dont les femmes sont victimes, ni de leur garantir une indépendance financière. Le congé parental, s’il devait subsister, ne devrait donc être octroyé que sous une forme alternée. Sur un plan plus théorique, il ne nous paraît par ailleurs pas souhaitable de voir salarier le temps passé au foyer à l’accomplissement de tâches ménagères ou éducatives. On va vers une société où le travail productif salarié aura une place réduite, et c’est tant mieux. Il faut donc pousser à la reconnaissance des activités effectuées en dehors de la sphère salariale, et veiller à leur partage entre les êtres, mais ne surtout pas pousser au salariat de ces activités. Il faut pouvoir se réaliser dans un travail expressif, enrichissant pour soi en dehors de tout rapport financier et de tout contrôle de la société (sinon pourquoi ne pas aussi salarier l’entretien de relation de voisinage, les efforts pour se cultiver, etc.. ?).
Pourquoi, effectivement, ne pas décider d’abandonner le marché du travail à certaines périodes de sa vie, prendre du temps pour soi, pour ses enfants… ?
Mais encore faut-il que cela soit un véritable choix pour tous. Il faut pour cela donner des possibilité aux hommes et aux femmes de le faire par l’augmentation et la valorisation des possibilités (peut-être faudrait-il même obliger ?) à prendre années sabbatiques rémunérées, congés-formation, etc. Ceci suppose une possibilité réelle à retrouver un emploi après une période d’absence sur le marché du travail et par une vraie autonomie financière, ce qui passe par une abolition du chômage, un partage des richesses et une réduction massive de la durée du travail pour tous.
III – Quelle égalité de conditions de travail entre hommes et femmes ?
3.1 – « Portrait-robot » de la femme active
Aujourd’hui, 45% des actifs sont des femmes. Il y avait 6,5 millions de femmes actives dans les années 60, il y en a 11 millions aujourd’hui alors que du côté des hommes, on est passé de 13 à 14 millions « seulement », soit une progression beaucoup moins forte : ce sont donc les femmes qui ont porté toute la croissance de l’emploi depuis une trentaine d’années. Ces femmes actives sont avant tout des salariées. Ce sont ensuite des mères de familles : la majorité des femmes ne s’arrêtent plus de travailler lorsqu’elles ont des enfants. Ce sont donc 80% des femmes entre 25 et 49 ans qui sont actives (pour 96% des hommes)… auxquelles il faut ajouter les « emplois cachés », les femmes qui travaillent non déclarées au côté de leur mari agriculteur ou commerçant. Ces femmes sont enfin souvent des salariées du tertiaire, secteur en rapide expansion depuis 30 ans : 3 femmes sur 4 travaillent dans les services. Les créations d’emplois ont donc confiné les femmes dans certains secteurs, ce qui, entre parenthèses, bat en brèche une des fausses évidences les plus répandues : le chômage masculin n’est pas une conséquence de l’expansion féminine. A l’inverse, si la crise de l’emploi n’a pas stoppé le mouvement d’accroissement de l’activité féminine, il convient de souligner combien elle a accentué leur vulnérabilité sur le marché du travail et la pérennité de la ségrégation professionnelle.
3.2 – Ségrégation professionnelle
Bien sûr maintenant « il y a des femmes qui… », mais quelques pionnières ne changent pas le tableau d’ensemble : la concentration des femmes dans un tout petit nombre de secteurs d’activité (généralement peu qualifiés et peu valorisés. Du reste, sitôt qu’une profession se dévalorise on la voit se féminiser, et inversement) reste un des traits dominants de la structure de l’emploi. Sur les 31 catégories socio-professionnelles que recense l’I.N.S.E.E., 6 regroupent 60% des actives, lesquelles se partagent entre les employées, les personnels de service, les institutrices et les professions intermédiaires de la santé. Concentration horizontale donc, mais aussi verticale. La concentration des femmes dans certaines professions au sein de ces secteurs, et leur difficulté d’accès aux postes plus qualifiés (surtout dans le privé) reste un phénomène courant. Voilà pourquoi demeurent ces inégalités de salaire que l’on connaît bien.
3.3 – Sous-salaire
La Loi dit « A travail égal, salaire égal ». Et effectivement, dans une même entreprise, à poste de travail égal, il n’y a presque plus d’inégalité de salaire. Mais si l’on fait la moyenne toutes choses confondues (et sans aborder encore la question du temps partiel, lot de nombreuses femmes, qui donne salaire partiel, puis indemnisation chômage et retraite partielles), il reste 30% d’écart de salaire entre hommes et femmes. Presque 3 fois plus de femmes que d’hommes sont payées au SMIC, et ce, de façon durable contrairement aux hommes pour qui cette situation marque souvent le début d’une carrière. Pourquoi ? Parce que c’est le travail égal que les femmes n’ont toujours pas. Souvent hommes et femmes ne font pas le même travail, et quand tel est le cas, ce travail n’est pas toujours reconnu pour identique. D’ailleurs, la plupart des femmes sont sous-utilisées par rapport à leur niveau de formation et sont, de ce fait, sur-qualifiées par rapport au travail qu’elles effectuent. A formation, à compétence égales, travail différent: telle est donc la règle. La question n’est donc pas seulement celle de l’égalité de traitement mais aussi celle de l’égalité de choix à différentes professions.
3.4 – Surchômage
La crise a également engendré de nouvelles formes de discrimination sexuelle au niveau du chômage et du sous-emploi. Quoique la concentration des emplois féminins ait constitué une protection relative des femmes face à la crise, celles-ci ayant pu bénéficier des créations d’emplois dans les services et ayant été en partie épargnées par les restructurations industrielles, les femmes paient malgré tout très cher leur maintien sur le marché du travail : elles sont beaucoup plus souvent au chômage que les hommes (en 1996 le taux global de chômage des femmes est de 14,3%, celui des hommes 10,2%. Pour ce qui est des moins de 25 ans, le chômage des femmes est de 32% contre 22% chez les jeunes hommes) ; leur chômage dure beaucoup plus longtemps ; elles sont moins indemnisées ; enfin le chômage féminin paraît beaucoup plus structurel que celui des hommes car en période de redémarrage de l’emploi le chômage masculin connaît une forte diminution tandis que le chômage féminin connaît une certaine augmentation.
3.5 – Temps partiel imposé
Deuxième point noir : le travail à temps partiel, qui concerne 25% des femmes. 84% des personnes qui ont cette forme de contrat sont des femmes. La pratique du travail à temps partiel est très concentrée dans un très petit nombre de groupes sociaux-professionnels : la moitié des femmes qui travaillent à temps partiel sont des employées (en particulier vendeuses et caissières) et, dans le secteur secondaire qui concentre femmes non qualifiées ou immigrées, une femme sur deux fait des ménages pour des entreprises de nettoyage. Comment expliquer ce temps partiel ? Les femmes craqueraient-elles pour ce temps « libéré » qui leur permettrait d’assumer les charges familiales et domestiques tout en gardant un pied dans le monde du travail ? Dans de nombreux cas c’est l’employeur qui crée un emploi à temps partiel et l’impose comme tel à des gens qui n’ont aucune autre alternative face au chômage. Ce n’est donc pas un aménagement du temps de travail, d’autant que le temps partiel est souvent allié à une flexibilité du temps de travail, elle aussi imposée. Or comment organiser sa vie, la garde des enfants quand on ne sait ni combien d’heures on fera, ni comment son planning sera organisé ? Quant aux femmes qui font des ménages dans les bureaux de 5 H à 8H le matin et de 6 H à 9 H le soir, elles n’ont pas non plus choisi de travailler à temps partiel « pour concilier vie professionnelle et vie familiale ». Celles qui sont caissières dans les supermarchés de 11 H à 13 H puis de 16 à 19 H et qui entre temps attendent sur un banc parce qu’elles n’ont pas le temps de rentrer chez elles et pas le fric d’aller au café n’ont strictement rien choisi si ce n’est de ne pas être au chômage, pas plus que celles qui font les « nocturnes » ou les samedis. Il est vrai en revanche que le temps partiel a conforté les hommes dans le non partage des tâches ménagères et familiales. N’oublions pas enfin qu’un travail à temps partiel ça fait un salaire partiel . Or ce temps partiel concerne essentiellement des emplois féminins peu qualifiés et peu payés ; un SMIC à mi-temps, ça fait un RMI, ce qui ne permet pas l’indépendance économique. A l’inverse, rappelons rapidement que les hommes font plus d’heures supplémentaires que les femmes, sans doute de façon à entretenir une supériorité financière quand l’égalité est réalisée sur le plan professionnel. Soulignons aussi que ces temps partiels ne favorisent pas non plus les postes hiérarchiques de responsabilité.
3.6 – Pénibilité des conditions de travail
Aux difficiles conditions de travail communes aux hommes et aux femmes s’ajoutent celles qui concernent plus particulièrement les femmes, comme le harcèlement sexuel, qui concernerait 20% des femmes (et environ 0% des hommes), les violences symboliques que font plus particulièrement subir aux femmes certains petits chefs (voir la grève des ouvrières de chez Maryflo), les exigences souvent importantes quant à l’aspect physique, la tenue vestimentaire… Par ailleurs, le fait que les femmes soient employées souvent à des postes de basse qualification, à temps partiel, etc, a des répercussions sur leurs conditions de travail (par exemple la discontinuité des horaires). Soulignons enfin que lorsqu’il subsiste des articles du code du travail destinés à protéger les femmes, telle l’interdiction du travail de nuit jusqu’en 1992, on peut douter de leur efficacité et s’interroger sur leurs buts réels. En fait il semble que dans les secteurs où l’on avait besoin de femmes la nuit, comme chez les infirmières, la loi a été transformée. En fait on a surtout interdit le travail de nuit aux femmes dans les professions où elles se trouvaient mêlées aux hommes… cela n’a-t-il pas pu servir pour les payer moins ?
3.7 – Raisons d’une inégalité ? Comment expliquer ces disparités de sexes ?
Les femmes elles-mêmes ont tendance à sous-estimer leurs compétences et s’effacent régulièrement pour laisser les places de pouvoir aux hommes. Comme elles veulent être indépendantes (elles quittent le domicile parental beaucoup plus tôt que les garçons, puis vivent en couple, ont des enfants plus jeunes également), elles cultivent un fort rapport à l’activité, « brûlent » d’aller travailler, et acceptent peut-être pour cette raison des conditions de travail particulièrement mauvaises. Les femmes intègrent un projet familial plus profondément que les hommes : la situation des femmes est donc plus complexe aussi bien sur le plan psychologique que matériel, ce qui explique qu’elles soient moins investies dans les projets de carrière. Toutefois, les femmes qui ne sont pas motivées, convaincues de la nécessité pour elles de travailler, deviennent vite inactives et le restent. Ce n’est donc pas pour cette raison, ou très peu que les femmes subissent la précarité. Il est vrai en revanche que les femmes connaissent, plus que les hommes peut-être, certaines difficultés d’insertion sur le marché de l’emploi liées à leur situation personnelle. Du fait de leur sexe, les femmes sont souvent moins informées de leurs droits, possèdent moins l’habitude de l’exercice de leur citoyenneté… Elles rencontrent par ailleurs des problèmes spécifiques qui sont autant de freins à leur bonne insertion sur le plan professionnel et à la défense de leurs droits : violences, isolement, problèmes d’alphabétisation pour certaines femmes étrangères liés à leur enfermement…
L’hypothèse selon laquelle les femmes subiraient les discriminations en raison de problèmes de qualification n’est en revanche pas non plus très convaincante. Les femmes sont très diplômées. Certes, l’éducation générale, plus particulièrement dévolue aux filles, n’est pas reconnue comme préparant à la vie active. Mais le fait n’est pas du tout avéré, au contraire les nouveaux emplois exigent les qualifications fournies par les plus diplômés de l’enseignement général. En revanche ce discours contribue à justifier la disqualification des emplois féminins. De plus, la progression de l’activité est depuis 15 ans presque exclusivement le fait des femmes, ce qui infirme l’hypothèse d’une inadéquation proprement féminine. Enfin cette croissance n’est absolument pas le fait exclusif d’emplois sous-qualifiés.
Mais surtout, le patronat a évidemment intérêt à maintenir les disparités. Nous avons déjà posé le problème à propos du travail de nuit. Il faudrait peut-être considérer les phénomènes de déqualification et de précarisation non pas comme le reliquat d’un passé patriarcal ou un problème d’ajustement des mentalités, mais comme se rapportant à des stratégies économiques. Avec les femmes les discriminations peuvent toujours s’appuyer sur le sexe, vécu comme une cause d’inégalités externes à l’entreprise. L’organisation moderne du travail peut d’autant mieux exploiter le travail féminin que sa dévalorisation ne lui est pas directement imputée ni même imputable. Les assignations familiales servent de justificatif aux disparités internes, alors que les études ont montré que, une fois éliminées toutes les causes objectives de disparité (absentéisme, interruption de carrière), un écart de plus de 15% sépare les rémunérations des hommes et des femmes. Les femmes vivent la difficulté d’accéder aux postes de responsabilité alors même qu’elles ne sont pas mères ou que la charge maternelle est déjà loin derrière elles. Il s’agit d’une dévalorisation a priori dont pâtissent toutes les femmes. Ce processus naturalise en quelque sorte la déqualification : elle existe par nature. Les rapports sociaux de sexe sont intégrés dans les stratégies de gestion de l’emploi, comme l’illustre parfaitement le travail à temps partiel, forme-type du travail féminin et sans lien avec les besoins en temps des femmes.
Si les femmes sont évidemment les réelles victimes de ces inégalités de sexes sur le plan professionnel, on peut penser que les hommes eux-mêmes ne gagnent pas sur tous les plans : ils bossent parfois comme des fous pour rapporter l’argent qu’on attend d’eux, ne voient pas leurs enfants… Par ailleurs, il est bien évident que tant que les femmes subiront les bas salaires, la précarité…, les salariés de sexe masculin seront également fragilisés. Toutefois, cette question demeure complexe : les discriminations subies par les femmes sur le plan professionnel ont aussi permis aux hommes de maintenir leur supériorité dans le ménage.
IV – Les politiques d’égalité des chances dans le travail
Bien que la question de l’égalité des sexes demeure taboue, le principe figure en droit français non plus seulement comme un postulat à base de droits formels, mais comme légitimation juridique de mesures correctrices prises en faveur des seules femmes.
4.1 – Politiques publiques en faveur des femmes
Dans les politiques publiques d’égalité des chances, l’action éducative occupe une place centrale. Mais les efforts accomplis sont loin d’avoir vaincu les inégalités de fait dans le domaine de l’emploi. Il existe par ailleurs toute une panoplie d’actions visant à la mixité professionnelle : accès privilégié des femmes aux formations dans les secteurs où elles sont sous-représentées, aménagement des conditions de travail, financement de l’entreprenariat féminin (ce dernier axe visant à revaloriser l’image et le statut social des femmes, non plus seulement par des campagnes de sensibilisation, mais en renforçant la présence effective des femmes dans les lieux de décision sociale, économique et politique…). La loi Roudy du 13 juillet 1983 relative à l’égalité professionnelle entre hommes et femmes (elle fait obligation aux entreprises de 50 salariés et plus d’établir un rapport annuel comportant une analyse chiffrée de la situation comparée des femmes et des hommes et le recensement des mesures prises ou à prendre en vue d’assurer l’égalité professionnelle. L’entreprise peut bénéficier d’une aide de l’Etat pour la mise en place de plans d’égalité, mesure étendue en 1987 puisque l’Etat a étendu ces aides à des mesures individualisées) a été complétée par la loi du 2 août 1989 qui y a ajouté l’obligation faite aux organisations liées par une convention de branche ou un accord professionnel de se réunir pour négocier les mesures de rattrapage tendant à remédier aux inégalités constatées. Sous l’impulsion du secrétariat d’Etat aux Droits des femmes, de nombreux programmes ont été engagés à la charnière de la formation et de l’emploi : programmes locaux d’insertion pour les femmes adultes de petit niveau de qualification, actions de formation pour les mères isolées, opérations pilotes d’insertion des femmes dans les grands chantiers, comme en Savoie à l’occasion des Jeux Olympiques d’Albertville… La Communauté européenne a également conçu différents programmes d’action en faveur des femmes de façon a promouvoir l’égalité des chances dans le domaine professionnel : NOW qui finance le développement de structures de formation, conseil ou emploi au bénéfice de femmes en difficulté et apporte une aide économique à des projets facilitant l’accès des femmes à l’emploi ainsi que la création et le soutien à la création d’entreprises par et pour les femmes. ILE et IRIS sont des réseaux qui complètent NOW.
4.2 – Limites et ambiguïtés de ces mesures
1ère difficulté, les résultats concrets de toutes ces mesures semblent très faibles… au point qu’on peut parfois se demander si le but des « programmes » n’est pas d’occuper les femmes et de leur faire croire que l’on s’occupe d’elles pour les empêcher de réaliser qu’il n’y a pas d’emplois pour elles. La loi Roudy quant à elle ne prévoit ni sanctions pénales dans son volet antidiscriminatoire, ni obligations dans son volet de construction de l’égalité ; elle n’est qu’un outil qui pourrait être utilisé s’il y avait une réelle volonté politique. Mais peut-être toutes ces mesures permettront-elles, à défaut de transformer la situation à court terme, d’entreprendre au moins une lente transformation des mentalités ?
Par ailleurs, les options prises dans le cadre de ces différents programmes sont eux-mêmes peut-être discutables. Par exemple, et comme nous l’avons déjà souligné, les difficultés des femmes sur le marché de l’emploi tiennent rarement à des problèmes de qualification. Quand c’est le cas, est-ce intelligent d’ajouter aux handicaps de ce public (femmes de faible niveau), l’enjeu de métiers réputés masculins ? Certains pensent qu’au lieu d’inciter les femmes de manière volontariste à occuper les emplois « masculins » comme celui de technicien, il vaudrait mieux réévaluer les métiers « féminins », y compris sur le plan salarial. Ce serait enfin s’attaquer aux causes plutôt qu’aux conséquences. De la même façon on peut se demander si, plutôt que de tenter, par le biais de discriminations positives, d’imposer dans les entreprises des femmes à des postes de responsabilité, il ne serait pas plus efficace de favoriser directement la création d’entreprises par des femmes. Déjà à l’heure actuelle en France 30% des créations d’entreprise sont le fait de femmes (aux Etats-Unis c’est même 55%). D’une façon générale, faut-il absolument imposer la mixité, voire instaurer la parité dans l’entreprise par le biais de discriminations positives ? Se retrouvent ici les mêmes arguments et contre-arguments que ceux employés dans le débat sur la parité en politique. On peut assez aisément être persuadé que l’égalité entre les sexes ne passera que par un partage total des activités et responsabilités. On peut dire que la parité est nécessaire car le mélange des sexes transforme les relations de travail. On peut aussi penser que cela répond aux besoins actuels de la société. Par exemple certaines personnes préfèrent avoir affaire à une femmes plutôt qu’à un homme et inversement quand il va chez le médecin, au commissariat… On peut penser les ségrégations professionnelles ne connaîtront de fin que grâce à l’application de politiques volontaristes… Mais on peut aussi craindre, encore une fois, de voir les êtres humains réduits à leur sexe, des femmes embauchées parce qu’elles sont femmes et non pas en raison de leurs compétences… Et surtout on peut craindre que ces mesures ne se retournent contre les femmes elles mêmes, celles-ci étant systématiquement suspectées d’avoir obtenu leur poste par le biais de « quotas ».
4.3 – Pressions patronales
D’une façon générale, il faut être conscient des intérêts économiques en jeu. La place des femmes sur le marché du travail ne peut être appréhendée indépendamment de ceux-ci. Pour donner un premier exemple : il est clair au 20e siècle que les femmes ont pénétré le marché de l’emploi quand l’économie a eu besoin d’elles : pendant la guerre de 14-18, puis pendant les 30 Glorieuses. Aujourd’hui on peut penser que le patronat trouve son intérêt dans la présence des femmes sur un marché saturé, les chômeurs maintenant la pression sur les actifs (en étant positifs, on peut penser que cela se conjugue au changement de mentalité qui fait que les femmes accepteraient par ailleurs difficilement d’être renvoyées au foyer). Pour ce qui est maintenant des tentatives d’accroître la mixité professionnelle, on peut penser qu’elles visent moins à transformer les rapports sociaux de sexes et à réduire les discriminations qu’à répondre aux besoins de l’économie. « La stagnation de la proportion d’élèves se préparant à un baccalauréat C, D, E ou F est un des problèmes majeurs des lycées aujourd’hui : les performances économiques et scientifiques du pays ne manqueront pas de ressentir très gravement et très rapidement l’effet de cette insuffisance du nombre des élèves promis à devenir ingénieurs, techniciens, chercheurs… » remarquait une note de service de 1987. Plus grave, le dernier programme communautaire d’action pour l’égalité des chances insiste sur les mesures destinées à faciliter l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, en particulier par le biais de la flexibilité dans le travail. Or nous avons déjà souligné les problèmes posés par le temps partiel, depuis les problèmes économiques jusqu’aux risques majeurs de voir perdurer la division sexuelle du travail (avec inégalité selon les niveaux hiérarchiques) et la non répartition équitable des tâches domestiques dans le couple. On peut légitimement penser qu’il s’agit plutôt là de mesures dictées par le patronat. La législation égalitaire est utilisée pour les besoins du patronat et sans rapport avec la problématique de l’égalité des sexes. La levée de l’interdiction du travail de nuit des femmes entre 1987 et 1892 s’est faite sous la pression des dirigeants d’entreprise au nom d’une « nécessaire » flexibilité. Peut-on, dès lors, attendre beaucoup de ces politiques publiques en direction des femmes quand on voit qu’elles sont soumises au besoins changeants des chefs d’entreprise ?
V – Imposer un changement de société pour changer les rapports de sexe
Les politiques publiques en faveur des femmes subissent des pressions patronales ? A notre tour de nous organiser pour imposer notre conception de la justice sociale et les moyens d’ y parvenir !
5.1 – Lutter pour plus de justice sociale
Dans un monde où l’ injustice est générale, comment s’ étonner que les femmes soient victimes de discriminations ? Pour nous, il s’ agit donc d’abord de supprimer les mesures qui précarisent l’ ensemble des salariés, et plus particulièrement les femmes (travail à temps partiel contraint, lois consentant des avantages aux entreprises pour inciter au temps partiel…) et de se battre pour la transformation des contrats précaires en CDI à temps plein, le respect du droit du travail, la mise en &Il; s’ agit d’ autre part de se donner les moyens d’ une lutte contre les discriminations et pour la construction de l’ égalité professionnelle. Cela passe notamment par une meilleure prise en charge collective des droits des femmes.
Les « commissions-femmes » doivent donc voir leur place reconnue dans les structures syndicales ; les associations de femmes se donnant pour objectif l’ égalité professionnelle devraient pouvoir, comme les syndicats, intervenir pour engager une action judiciaire au nom de la personne discriminée.
5.2 – Imposer la réduction du temps de travail
Le second (et le principal) axe de lutte doit être la réduction massive du temps de travail pour tous et toutes, sans annualisation, et accompagné d’ une répartition plus juste des richesses. D’ abord parce que la RTT est un moyen unique d’ arriver à une abolition du chômage (ainsi que du chômage déguisé, comme le temps partiel) et à une répartition plus équitable des activités. C’ est le meilleur moyen de lutter contre la précarité qui touche principalement les femmes.
Ensuite parce que la réduction du temps de travail est une aspiration commune à nombre de femmes qui supportent la « double-journée » et courent en permanence après le temps. La RTT doit par ailleurs être l’ occasion d’ une remise en cause en profondeur des rapports entre hommes et femmes ; le travail domestique et les responsabilités familiales doivent être pris en charge collectivement et à part égale par les hommes et les femmes et permettre à tous de concilier vie de travail, vie familiale et vie publique. Concilier sa vie de famille et son travail concerne autant les hommes/pères que les femmes/mères , et c’ est pourquoi une réduction de la durée du travail pour tous et toutes est indispensable ; l’ occasion d’ aller vers moins d’ inégalité n’ est que là. En effet, il faut faire très attention à l’ idée de « temps choisi » qui pose la question de la place du travail dans la vie des femmes et des hommes et de la répartition entre eux des charges et responsabilités familiales. Souvent le temps « choisi » l’ est sous pression d’ un mari, d’ une entreprise, d’ une société. Il n’ est qu’ à voir ce qui se passe en Europe du nord. Là les femmes sont nombreuses à travailler à temps partiel (65 % aux Pays Bas pour 14,7% des hommes, en Suède, Royaume-Uni, Danemark, un peu plus de 40%, en Allemagne 34%…) Dans ces pays, des horaires scolaires courts, l’ absence de prise en charge collective des enfants font reposer sur les femmes toute la charge des enfants et les amène à « choisir » le temps partiel comme le meilleur moyen de concilier travail et éducation des enfants. En France, des allocations pour garde d’ enfant, leur prise en charge, des horaires scolaires compatibles avec des horaires de travail donnent aux femmes françaises de bien meilleure conditions pour assumer travail et vie privée. Mais depuis quelques années, notamment avec le loi quinquennale sur l’ emploi qui tend à la flexibilisation, c’ est un nouveau modèle qui cherche à s’ imposer. Le travail à temps partiel accentue la distinction entre « vrai » travail et « travail de femmes », déqualifié, sous-payé, sans perspective d’ avenir… Au prétexte de la crise on cherche à nous imposer une régression, un retour à une répartition traditionnelle où les hommes sont responsables à titre principal des ressources de la famille et les femmes de son entretien et de sa reproduction. Notre conception est exactement inverse. Si la crise oblige à repenser la place du travail dans la vie, tant mieux, mais c’ est pour plus d’ équilibre entre les tâches et entre les êtres.
Je ne vais pas reprendre en détail l’ argumentaire concernant la RTT. Il suffit de rappeler que la réduction de la durée du travail (nécessitée par les gains de productivité réalisés) a déjà globalement eu lieu, mais qu’ elle a été imposée de façon inégalitaire (chômage, temps partiels, C.D.D., …). Que d’ autre part cette situation coûte extrêmement cher à la société (aussi bien sur le plan de la cohésion sociale que sur le plan financier). Que les recettes libérales (croissance économique, aides et allégements de charges, austérité salariale…) ne marchent pas, au contraire puisque ces mesures ont accentué les inégalités et réduit la consommation. C’ est pourquoi, si l’ on veut véritablement réduire le chômage, il faut s’ attaquer aux racines du problème : on produit plus avec moins de travail ; il n’ y aura donc pas de véritable recul du chômage sans réduction massive du temps de travail, c’ est à dire sans redistribution du travail sur l’ ensemble de la population active. Cette redistribution s’ est déjà effectuée depuis un siècle (congés payés, week-end, raccourcissement de la journée de travail…) ; on travaille 2 fois moins d’ heures aujourd’ hui qu’ il y a un siècle. Si tel n’ était pas le cas, il y aurait à l’ heure actuelle plus de 10 millions de chômeurs en sus de ceux existants. Les économistes pensent que la réduction massive (35, 32 heures, 4 jours…) et rapide du temps de travail permettrait de créer entre 1,2 et 2,3 millions d’ emplois. Cette RTT, on peut la financer. Malgré la crise, l’ économie crée toujours plus de richesses (le PIB s’ est accru de plus de 50% depuis 25 ans et les entreprises, qui en 1980 pouvaient financer 56% de leurs investissements, ont aujourd’ hui une capacité d’ auto-financement qui atteint 128%. Ce surplus de 28% sert surtout à la spéculation financière. Le taux de profit des entreprises est passé de 8,8% en 1985 à 15% en 1995). Seulement, les richesses produites sont de plus en plus inégalement réparties. Une meilleure répartition permettrait de financer la RTT et les créations d’ emplois ; les gains de productivité doivent servir à l’ emploi et au maintien des salaires plutôt qu’ au gonflement des profits. D’ autre part, une partie de l’ argent actuellement utilisé pour financer le chômage pourrait servir à favoriser l’ emploi.
Réduction du temps de travail, donc. Mais pas n’ importe laquelle. Avant tout, soulignons que le contrat de travail devrait être automatiquement un contrat de travail à temps plein avec possibilité de travail à temps partiel, uniquement s’ il est choisi, et retour à temps complet dès que la -le- salarié-e le demande. Il faudrait supprimer les abattements sur les cotisations sociales patronales qui incitent au développement du temps partiel. Par ailleurs, une loi-cadre sur la R.T.T. est nécessaire pour que tou-te-s les salarié-e-s en profitent, pour définir les moyens de contrôle sur les créations d’ emplois et l’ organisation du travail, pour définir les moyens de financement, pour mettre en &R;éduire le temps de travail, cela ne veut pas dire bloquer la réflexion et le dynamisme de la société. Si de nouveaux emplois destinés à satisfaire les besoins sociaux sont créés, a priori tant mieux ! Mais à l’ heure actuelle en tout cas, il est nécessaire de partager le travail.
5.3 – Faut-il craindre l’ invention de nouveaux métiers ?
Répondre aux besoins sociaux, développer et améliorer les services publics… Oui, mais n’ y a-t-il pas des craintes à avoir quant à l’ invention de nouveaux métiers et leurs conséquences pour les femmes ? Les propositions concernant ceux-ci tournent souvent autour des catégories traditionnellement dévolues aux femmes « aider, soigner… ». Ne va-t-on pas en fait créer une multitude de boulots plus ou moins domestiques… et qui seront tout « naturellement » dévolus aux femmes ? Mais on sait que sitôt qu’ un métier se dévalorise il se féminise et inversement. Le risque est donc probablement plus grand du fait du caractère précaire de ces boulots plutôt que de leur caractère « social ». Il s’ agit donc avant tout de combattre le caractère de précarité et de « retour à la domesticité » de ces boulots, d’ autant que les mesures type « chèque emploi-service » participent à un choix de société : particulièrement inégalitaire, puisqu’ il favorise les ménages riches, il offre une solution individualisée (à chacun de se débrouiller, et d’ abord les femmes car il s’ agit de problèmes domestiques !) à des problèmes qui devraient être pris en charge par l’ ensemble de la société (garde d’ enfants, soins aux malades ou personnes âgées…).
Vigilance, donc, mais aussi mobilisation. L’ apparition de nouveaux métiers peut au contraire représenter une extraordinaire chance pour les femmes : n’ est-ce pas enfin l’ occasion pour elles de faire preuve d’ invention, d’ audace, de créer, et de s’ imposer ? L’ abolition des discriminations sexuelles passe aussi par la mobilisation des femmes elles-mêmes, la prise de conscience de leurs capacités et responsabilités dans le changement du monde en général et des rapports de sexe en particulier. Bref, remuons-nous le clito ! !