Il y a quelques temps, alors que je me trouvais « lost in translation » entre deux aéroports, j’ai spontanément acheté un cahier pour, aussi étrange que cela puisse paraitre, communiquer avec ma blessure au dos dans l’espoir que cela puisse me montrer le chemin vers la guérison.
Aujourd’hui, j’ai eu envie de partager avec vous l’endroit étonnant vers lequel cela m’a conduite et comment j’apprends à vivre, mais surtout à m’accepter, dans mes plus grandes parts d’ombre.
Il paraît que la douleur physique, les maux, sont les larmes que les yeux n’ont pas pleurées. Il paraît que la maladie c’est le “mal a dit”. Alors voilà, puisque cela fait plus d’un an et demi que j’ai mal physiquement, et que je ne peux plus continuer de l’ignorer, j’ai décidé de te parler à toi, ma douleur, et tenter de comprendre ce que tu as à me dire que je n’arrive pas à déchiffrer depuis tout ce temps. De cette façon, peut-être arriverai-je enfin à t’aimer, t’apprivoiser, te respecter. Et tu pourras alors gentiment disposer.
Je devine déjà que tu ne t’en iras que lorsque j’aurai enfin exprimé de la gratitude à ton égard. Pour l’instant, cela me semble encore un grand mystère. Je ne vois pas comment je pourrais t’aimer alors que tu me fais souffrir en permanence et que tu me prends tout ce que j’aime. Ce à quoi tu vas me répondre que, si tu n’es là, ce n’est que parce que j’ai moi-même généré de la souffrance par les pensées, de la souffrance que j’ai probablement pris soin d’ignore et qui par conséquent est venue ensuite prendre forme ici. Tu vois, j’ai déjà un peu cheminé… Mais il me reste encore à comprendre ce que tu as exactement à m’apprendre que je ne veux pas savoir, quelle part de moi je crois si répugnante qu’il me faille la cacher, mais qui se bat pour exister à tel point qu’elle jaillisse si dramatiquement dans le bas de mon dos ? Qui es-tu ? Qui suis-je ? Pourquoi es-tu là ? Pourquoi es-tu si douloureuse, chronique, amère, omniprésente ? J’aimerais que tu cesses d’être ma pire ennemie. Peut-être ne demandes-tu que cela, faire la paix. Je le veux aussi, mais j’ignore tout du chemin.
Commençons par le début… Je sais déjà que tu ne veux pas que je m’assoie. Etre debout est parfois compliqué aussi, mais s’assoir est insoutenable. Tu grondes de toute tes forces et me supplie de m’allonger, pour qu’enfin je puisse enfin te libérer du poids si douloureux de la gravité. Tu ne veux rien d’autre que cela, relâcher un poids qu’apparemment j’ai malgré moi décidé de porter. Pourquoi l’existence est-elle si lourde et lancinante ? Tu me fais sentir en permanence que je n’ai plus le droit. Je n’ai plus le droit d’être assise donc, mais aussi de porter, de me pencher, de courir, de danser, de bouger librement, de me dandiner, ou bien juste de m’avachir, d’être comme bon me semble. Tu voudrais juste que je flotte, or cela m’est physiquement impossible. Ah mais c’est vrai… Je peux flotter autrement. Tu auras d’ailleurs remarqué que je passe beaucoup de temps dans l’eau. Je n’arrive pas vraiment à savoir si cela nous est bénéfique ou pas, mais je serais tentée de dire que c’est le cas.
Oui, je viens d’utiliser le « nous » pour la première fois et cela alors que je faisais référence à l’eau. Peut-être est-ce le seul élément dans lequel toi et moi ne faisons qu’un ? Et pourtant, c’est aussi le seul élément dans lequel je t’oublie totalement. Au sortir de l’eau, je peux enfin expérimenter de nouveau la sensation légère d’être dépourvue de toi, douleur… Et c’est alors que me vient une pensée : comment apprécier la légèreté à sa juste valeur si nous avons oublié la souffrance physique ? Serait-ce pour cela que tu existes ? Pendant les deux heures qui suivent mes sessions de surf, je baigne dans un état de plénitude absolue, enfin libérée de toi, mal qui me ronge.
Plus besoin d’anti-inflammatoires – que je déteste de toutes façons car les cachets ne font que…cacher. Mais je sais au fond de moi que si je te laisse apparaître, douleur, la colère et le désespoir prennent possession de mon être. Et la première fois que cela m’est arrivé, j’ai vraiment cru que j’allais dérailler.
C’était un après-midi du mois de juin. En écoutant une œuvre de musique classique sur laquelle j’avais pour habitude de faire du Yoga librement, je me suis retrouvée prise d’une envie irrésistible de bouger et de danser. Mais après quelques mouvements improvisés, j’ai abandonné et je suis partie m’allonger tant tu étais intenable, douleur. Là, sur mon lit, je suis tombée dans un trou sans fin, les yeux rivés au plafond. Spontanément, j’ai eu envie de mettre les Doors, que je n’avais pas écouté depuis des années. Puis a surgi la sensation unificatrice que cette vibration et elle seulement raisonnait parfaitement en moi à ce moment précis et qu’il y avait toujours un moyen de sentir comprise. J’étais mal, et j’étais bien en même temps. D’où pouvait bien venir cet état de satisfaction alors même que je faisais l’expérience de ce qui me rongeais le plus, toi, la douleur… ?
Ce fut le premier épisode d’une longue séries. Tous étaient différents dans la forme mais similaires dans le fond : quelque soit le moment où l’endroit, je me retrouvais soudain à exploser en sanglots, à crier de toutes mes forces, à taper les murs, ou bien juste à me perdre dans un état d’errance profonde… Et cette pensée : vous, là-haut, vous m’avez laissée tomber. Jamais je n’aurais cru avoir autant de noirceur en moi. Mais surtout, jamais je n’aurais pu penser autant « apprécié » SANS CULPABILITE d’être bien dans le mal. Puis ce rêve étrange, dans lequel un ami est apparu me délivrer un message : « If you want to heal, you need to feel… » – « Si tu veux guérir, il faut que tu ressentes ».
Avec le temps, de m’observer parader ainsi dans l’ombre, j’ai fini par comprendre quelque chose : toutes ces années de Yoga, de méditation, de « bien-être », de développement personnel, de spiritualité, je m’étais trompée. Je m’étais trompée en pensant qu’il fallait à tout prix générer de la lumière, partager des pensées positives, visualiser de la « beauté ». Certes, tout cela existe et doit exister, c’est super si on le fait. Mais l’autre versant, qui est d’ailleurs indispensable pour que la lumière soit, ne mérite pas moins d’attention mais surtout : d’Amour. Il n’est pas laid, et encore moins honteux. La noirceur, aussi noire la pensons-t-elle, ne doit pas être rejetée, ni source de culpabilité, bien au contraire : elle doit être embrassée ! Car elle a la capacité unique, le pouvoir immense, de révéler au grand jour tout ce que nous nous efforçons de cacher et qui n’est pas moins beau que le reste. De ce fait, nous devenons alors parfaitement complet dans notre dualité la plus profonde.
Oui j’ai volé ; oui j’ai souhaité que certaines personnes disparaissent ; oui j’ai menti, trompé ou prétendu être ce que je n’étais pas – et le plus souvent à moi-même ; oui j’ai été et je suis encore égoïste ; oui j’ai dénoncé des personnes en désirant que justice soit faite ; oui j’ai été tyrannique, mauvaise, intolérante, impatiente, manipulatrice… Non je ne suis pas parfaite, souvent loin d’être tendre et oui, j’aime souffrir de temps en temps. ET CELA NE FAIT PAS DE MOI UNE MAUVAISE PERSONNE. Je suis un être spirituel venu faire une expérience humaine, et non pas le contraire.
Or être humaine, signifie avoir de l’ego, des peurs, de la souffrance intérieure, de la souffrance extérieure, et des manières parfois bien limitées de les exprimer… Mais tout cela peut être une source infinie de plaisir si on le regarde avec franchise : je suis l’ombre et je suis la lumière qu’il y a en moi. Ce n’est pas bien, ce n’est pas mal, c’est juste MOI.