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Psycho

Yoga : vous n’êtes pas votre corps

Depuis quelques temps j’ai pris mes distances avec le Yoga – en tout cas son aspect physique, qui ne représente qu’un infime aspect de la pratique – mais surtout son aspect moderne, qui se répand sur les réseaux sociaux et se pratique en studio. Pour autant, je suis toujours en cheminement, et même plus que jamais. D’une certaine façon, j’ai toujours une pratique, elle est juste différente, moins centrée sur le corps et surtout : je ne l’expose plus, ou presque plus, en ligne. Quant à mon éveil spirituel, il est exponentiel.

En vérité, je n’ai pas tant pris mes distances avec le Yoga, mais plutôt avec mon identification au corps et à ce que je suis à l’extérieur, de visible mais d’impermanent et qui, par conséquent, s’éteindra un jour. Ma pratique, qui partait autrefois d’une bonne intention, était devenue fausse avec le temps et le contexte dans lequel j’évoluais. J’avais commencé le Yoga parce que je souhaitais me libérer intérieurement mais, très vite, c’est le contraire qui s’est produit. Pour en prendre conscience et ne pas perpétuer dans l’ignorance, il a donc fallu que je vive, et surtout ressente, les conséquences de mes erreurs. Non pas comme une punition mais plutôt comme une suite karmique : tu as planté les graines du jardin desséché dans lequel tu vis désormais, mais tout n’est pas perdu…

Aujourd’hui, alors même que je ne pratique que très peu physiquement le Yoga, je me sens plus que jamais connectée à tout ce à quoi j’essayais de me connecter avant, quand je pratiquais – je ne dis pas que parce que je ne fais plus de Yoga je me sens mieux, je dis simplement que le Yoga est un outil comme les autres pour s’éveiller spirituellement et comme tout outil, si il est mal utilisé, il peut avoir les effets inverses de ce que l’on recherche. Cette mutation intérieure a pris racine lorsque j’ai été contrainte de stopper totalement ma pratique des asanas (postures de Yoga) en raison de ma blessure au dos, qui a d’ailleurs généré un chaos total dans mon existence (voir : Etre belle, et guérir, dans l’ombre de soi-même). Je continuais toutefois de me dépenser physiquement et de laver mon être au contact de l’océan quand j’allais surfer, mais ma vie quotidienne était devenue impossible…

En janvier dernier, mon opération chirurgicale puis le repos des semaines qui ont suivies, ma rééducation – quoi que quelque peu compromise du fait des douleurs qui ont persisté, et enfin le lâcher prise dont j’ai enfin fait pleinement l’expérience, m’ont permis et me permettent encore d’écouter enfin mon corps – (voir : Les craintes, mais surtout la beauté, du lâcher prise et : Accepter le changement même quand il fait mal). A présent, j’ai pris conscience que ce corps n’est plus un objet auquel je dois m’identifier, mais bien le moyen d’expression matériel de mon âme, le véhicule que j’ai emprunté dans cette vie et qui me permet de manifester ce que mon « être supérieur » veut, ce pour quoi je suis réellement ici et non ce pour quoi mon ego aimerait que je sois. Bien sûr, je savais déjà toutes ces choses avant, mais en faire réellement l’expérience a changé véritablement le spectre avec lequel j’appréhende l’existence. Et le jour où je pratiquerai de nouveau les asanas, mon approche sera totalement différente… Je serai « prête ».

Mon rapport au Yoga sur les réseaux sociaux et l’inconfort que cela a toujours généré en moi de voir chacun étaler les exploits de sa pratique (moi y compris), fut les prémices de ma transformation. Aujourd’hui, je suis intimement convaincue que celui qui fait le cérémonial de ce qu’il sait, a encore tout à apprendre et ne sait pas grand chose en vérité. Je ne dis pas que cette personne est moins bien que les autres ou qu’elle n’a rien d’intéressant à raconter, je dis simplement que se regarder et s’écouter faire une chose qui ne doit pas être vue / entendue mais juste ressentie, c’est de l’inconscience – même si chacun est bien évidemment libre d’emprunter cette voie et de se maintenir dans cet état, nous évoluons tous au rythme qui nous est propre. Cependant, croire que nous sommes ces corps que nous exposons a quelque chose de profondément aliénant, et perpétue l’état d’ignorance totale, le narcissisme exacerbé qui est en train de totalement dénaturer le Yoga.

Non, nous ne sommes pas ces corps. Un jour, peut-être même demain, ils disparaîtront. Et que restera-t-il ? Je ne dis pas qu’il faut totalement se détacher de son corps, ou ne plus en prendre soin… C’est même tout le contraire. Ce que je veux dire, c’est que le Yoga se pratique originellement pour créer de l’espace à l’intérieur de soi et, une fois que cet espace a été créé, le combler avec quelque chose de nouveau qui fasse vraiment la différence. Par exemple : la compassion. Or, la compassion justement, n’est pas quelque chose dont on peut faire l’expérience quand on est encore identifié à son corps. C’est au contraire une énergie qui se meut lorsque nous sommes en ouverture et, par conséquent, en mesure de prendre conscience que « toi et moi », c’est la même chose…

Cet étalage sur les réseaux sociaux n’est pas le seul aspect du Yoga moderne qui me pose problème : c’est aussi tout l’argent qui gravite autour d’une discipline qui devrait être transmise avec le coeur au lieu d’être monétisée, et le fait de partager son savoir uniquement dans le cadre d’un contrat financier. Aujourd’hui, je pense sincèrement qu’enseigner le Yoga n’est pas un métier : c’est un cadeau que l’on fait. Car comment peut-on vendre et acheter du bien-être ? Comment peut-on vendre et acheter une libération de soi ? Quand je parcourais tout Paris pour pouvoir donner mes 13 cours hebdomadaires, je prenais certes du plaisir à (tenter de) transmettre ce que j’aimais le plus au monde, mais j’avais perdu le contact avec ma vérité intérieure, la noblesse, la simplicité, l’innocence de ce qui m’avait poussée à pratiquer pour la première fois. Encore une fois, mon intention de départ était bonne, mais elle n’avait plus aucun sens dans ce contexte-là…

Un jour, un professeur de Yoga au planning bien rempli m’a dit : « En tant que professeur, nous payons nos teacher training une fortune, il est donc légitime qu’à notre tour nous fassions payer nos cours, nos workshop et nos retraites le prix de ce que nous avons appris pendant nos formations si couteuses ».

Aujourd’hui, quand je vois d’où je reviens, le chemin que j’ai parcouru, je me rends compte à quel point un teacher training n’apprend rien – c’est éventuellement la discipline et toutes les heures de pratique qu’on y effectue qui transforment une personne, mais ne sont-ce pas des choses dont on peut faire l’expérience sans débourser un centime, en présence de maîtres (et non de professeurs RYT 200 Yoga Alliance) qui transmettent par passion et non par soif ? Et je pense sincèrement que plus on y met le prix, au moins on y apprend… Il serait bien étrange, dans un Univers qui fonctionne d’après des lois karmiques et le pouvoir de l’intention, que l’on puisse éveiller des consciences ou encore former des yogis dans un environnement dominé par le profit, la rentabilité, le business, le marketing… Le réel apprentissage, le vrai cheminement, se produit ailleurs, dans des expériences que l’on ne peut ni vendre, ni acheter, ni publier sur les réseaux sociaux.

Photos : Sasha Navetnaya pour Salty Sunset

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