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Lorsque Michelle, 41 ans, se présente à la consultation spécialisée, elle est adressée par son médecin traitant car depuis près d’un mois elle se sent très triste. A peine arrivée, elle dit que « depuis qu’il fait mauvais temps et que les jours raccourcissent 😢, tout va mal !». En plus d’une grande tristesse et de l’apparition d’idées noires qui commencent à l’inquiéter, elle dit avoir de plus en plus de mal à se lever le matin, elle se sent rapidement fatiguée et toutes activités quotidiennes, y compris les plus simples comme se laver ou se préparer à manger, sont devenues un effort.
Quelques jours plus tôt, son médecin traitant constatant cet épisode dépressif lui avait prescrit un antidépresseur qui malheureusement était à l’origine de nausées matinales et de sensations vertigineuses qui n’avaient fait qu’aggraver son état. Dans un dernier soupir, elle dit : « De toute façon, ça fait des années que c’est comme ça, dès que l’hiver arrive, je me retrouve au fond du trou… Alors j’attend le printemps et là je revis ! » … Cette fois la cause est entendue et plus de doutes : Michelle présente un « trouble affectif saisonnier » ou, pour parler plus simplement, elle souffre de « dépression saisonnière ».
Comment reconnaître la dépression saisonnière ?
Pour faire simple, le trouble affectif saisonnier partage avec la dépression une présentation clinique assez proche : tristesse de l’humeur, apparition d’idées noires et parfois de pensées morbides, ralentissement physique et psychique, perte d’envie et de volonté, difficulté à prendre des décisions, disparition du plaisir. Les pensées suicidaires peuvent également être présentes lors d’un épisode dépressif saisonnier mais avec une moindre fréquence et de façon moins intense.
La principale différence avec un épisode dépressif « classique » concerne les symptômes somatiques ou neuro-végétatifs. Dans la dépression « classique », on retrouve une perte d’appétit avec perte de poids et une diminution significative de la durée du sommeil, tandis que dans la dépression saisonnière on retrouve au contraire une augmentation de l’appétit avec en particulier une appétence pour le sucre, une augmentation du poids ainsi qu’une tendance à passer beaucoup plus de temps au fond de son lit qu’à l’accoutumée.
Mais comme dans le cas de Michelle, ce qui va permettre de faire le diagnostic de dépression saisonnière, c’est surtout l’évolution saisonnière des troubles. Les premiers symptômes apparaissent généralement quand la durée d’ensoleillement quotidienne commence à se réduire, que l’aube est plus tardive et le coucher du soleil plus précoce. Le mauvais temps ne fait qu’accélérer le processus et l’épisode dépressif s’installera alors rapidement. Tout aussi caractéristique, dès le printemps la tristesse va s’amender, le dynamisme et l’envie reviennent et le cortège des symptômes de la dépression cesse.
Questionnaire de saisonnalité
La dépression saisonnière est une maladie fréquente et malheureusement sous-diagnostiquée. La majorité des personnes qui en souffrent sont au mieux prises en charge pour un épisode dépressif sans tenir compte de ce caractère saisonnier, ou au pire, elles traversent automne et hiver en traînant leur peine et souffrant sans la moindre prise en charge médicale ou psychologique.
Dans une étude que nous avons menée auprès de médecins généralistes de Limoges et son agglomération, nous avons retrouvé qu’environ une personne sur sept qui consultait un médecin généraliste au cours de l’hiver, quel qu’en soit le motif, présentait un trouble affectif saisonnier. On estime qu’en France plus de 500000 personnes pourraient présenter chaque année un trouble affectif saisonnier.
Il faut savoir aussi que nous ne sommes pas égaux devant ce trouble car sa fréquence augmente avec la latitude. Ainsi les Lillois seront plus touchés que les marseillais et on estime que la dépression saisonnière et sa forme modérée, le « blues de l’hiver », pourraient toucher près d’une personne sur deux dans certaines zones du Canada ou des pays scandinaves.
Qu’est-ce que le « blues de l’hiver » ?
Le blues de l’hiver est une forme modérée ou « subsyndromique » du trouble affectif saisonnier. Les caractéristiques saisonnières sont les mêmes mais c’est l’intensité de la symptomatologie qui est moindre. Il ne s’agit donc pas d’un épisode dépressif caractérisé et l’on évoque plus un sentiment de mal-être qu’une réelle tristesse de l’humeur. Même si cela est plus difficile, la personne souffrant de blues de l’hiver peut continuer à exercer son activité professionnelle et entretenir des relations interpersonnelles stables au prix d’efforts tout au long de la période automne-hiver.
Le blues de l’hiver pourrait toucher jusqu’à une personne sur dix et il peut être rapidement dépisté grâce à un questionnaire de saisonnalité que vous trouverez en bas de page.
Quelles sont les causes de la dépression saisonnière ?
La dépression saisonnière est une maladie « circadienne », c’est-à-dire qu’elle serait liée à un dysfonctionnement de notre horloge biologique interne ou plus précisément à une incapacité de celle-ci à se recadrer avec les changements de l’alternance jour/nuit à l’arrivée de l’automne.
En effet, l’être humain doit en permanence synchroniser ses rythmes circadiens propres avec les synchroniseurs externes dont le principal est l’alternance jour/nuit. Le centre névralgique de notre horloge interne se situe dans une petite zone de notre cerveau : le noyau supra-chiasmatique de l’hypothalamus. C’est lui qui informe une autre structure cérébrale, la glande pinéale, que le soleil s’est couché et qu’elle peut fabriquer la mélatonine, neuro-hormone qui transmet l’information circadienne à travers le cerveau et à l’ensemble de notre corps. L’apparition de la dépression saisonnière serait ainsi due à un dysfonctionnement du noyau supra-chiasmatique, à l’origine d’une sécrétion trop précoce de mélatonine et donc d’un décalage de rythme entre notre horloge interne et le monde environnant.
Comment se soigner ?
Quand on parle de dépression notre regard se tourne immédiatement vers les antidépresseurs. Comme toutes les formes de dépressions, la dépression saisonnière peut être traitée de façon efficace par les antidépresseurs. Ce n’est cependant pas le traitement le plus efficace de ce trouble et il présente quelques inconvénients : outre le délai d’action important (entre 2 et 4 semaines) et le risque d’apparition d’effets secondaires gênants comme nous l’avons vu avec Michelle, il devra être maintenu pour une durée de plusieurs mois comme pour tout épisode dépressif.
La dépression saisonnière ne doit donc pas se traiter comme une dépression classique et nous possédons une arme redoutablement efficace pour la combattre : la luminothérapie. Cette technique s’avère d’ailleurs également très utile dans un certain nombre d’autres situations où notre horloge interne est perturbée comme dans certains troubles du sommeil, en cas de jet lag, ou chez les personnes qui ont un travail posté.
Si la luminothérapie est aussi efficace sur ce trouble, c’est parce qu’elle agit directement sur l’horloge biologique interne en corrigeant le décalage du rythme de sécrétion nocturne de la mélatonine. Pour cela, il faut cependant respecter certaines règles car les paramètres d’utilisation tels que l’heure et la durée d’administration, l’intensité lumineuse, ou encore la fréquence des séances revêtent une importance cruciale.
Pour soigner la dépression saisonnière, il est donc nécessaire de s’exposer quotidiennement à une intensité lumineuse de 10000 lux pendant trente minutes au moins. Les lampes que nous utilisons tous à notre domicile ou sur notre lieu de travail n’excédant pas quelques centaines de lux, on comprendra la spécificité d’une lampe de luminothérapie. L’exposition se fera strictement à la même heure et le plus tôt possible le matin, quitte à avancer son horaire de lever.
Les recommandations quant à la durée de la « cure » de luminothérapie sont par contre un peu moins claires. Si les Nord-Américains recommandent de s’exposer tout l’hiver, nous préférons en Europe et donc en France utiliser une cure courte de deux semaines d’exposition quotidienne. Plusieurs études européennes, dont un travail de recherche que nous avions mené au CHU de Lille, ont d’ailleurs montré que seule une très faible minorité de patients dépressifs saisonniers rechutaient au cours de l’hiver après un traitement de deux semaines, constat confirmé par plus de dix années de prise en charge de patients dépressifs saisonniers à Limoges.
Il est évident que si le traitement s’est avéré efficace, il sera possible de faire une nouvelle cure chaque année dès l’arrivée des premiers prodromes (signes avant-coureurs) de la maladie.
En conclusion
La dépression saisonnière est une maladie fréquente, source d’une gêne fonctionnelle potentiellement invalidante et d’une souffrance psychique importante. Tout comme sa forme mineure, le blues de l’hiver, elle doit être prise en charge dès que possible et peut être améliorée significativement en quelques jours grâce à son traitement de prédilection, la Luminothérapie.
Auteur de l’article : Dr Eric Charles, Psychiatre Pôle Universitaire de Psychiatrie, Centre Hospitalier Esquirol de LIMOGES
Eric Charles: La Dépression pour les Nuls
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